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L’interview de David Guérin (Brighteye Ventures) : la EdTech à l’aune de la crise

Interview David Guérin

EdTech Capital poursuit son tour de table des acteurs de l’écosystème EdTech européen et a le plaisir de recevoir dans cette interview exclusive David Guérin, Principal chez Brighteye Ventures.

L’année dernière, nous donnions la parole à Rémy Challe (anciennement CIO chez Skill and You), Anne-Charlotte Monneret (Déléguée Générale d’EdTech France), ou encore Nicolas Turcat (Responsable du service éducation, inclusion numérique et services au public du Groupe Caisse des Dépôts).

David Guérin revient sur son parcours, l’activité intense de Brighteye dans l’écosystème européen, et partage les enjeux cruciaux pour les startups dans un contexte de ‘polycrise’ du marché.

Du consulting au venture capital, en passant par la startup…

La vie en startup c’est “90% d’action et 10% de réflexion” et après un certain temps, la partie “réflexion” commençait à me manquer.

David Guérin, Principal chez Brighteye Ventures

Bonjour David, merci d’avoir accepté notre invitation ! Peux-tu présenter ton parcours en quelques mots ?

J’ai commencé ma carrière en 2012 au Mexique comme Management Consultant chez Ernst & Young pour aider à lancer le service de consulting. Ensuite, en 2014 j’ai eu l’opportunité de rejoindre une startup Mexicaine qui opère dans le secteur de la santé. Ma mission était de construire et d’exécuter la stratégie marketing. J’y suis resté pratiquement 4 ans et j’ai eu la chance de vivre une croissance forte de l’entreprise et notamment deux levées de fonds (Série A et Série B). C’était simplement génial !

Comment es-tu ‘tombé’ dans le capital-risque (ou venture capital) ? Un chemin naturel après ton expérience en startup ?

J’ai beaucoup appris grâce à l’opérationnel et je dois avouer que c’est aussi extrêmement fatigant : j’avais du mal à prendre du recul et lever la tête du guidon. La vie en startup c’est “90% d’action et 10% de réflexion” et après un certain temps, la partie “réflexion” commençait à me manquer. J’ai eu l’occasion de collaborer avec des fonds étant donné que l’on avait levé et le monde VC est très vite devenu le “dream job”, notamment pour cette partie réflexion. Je sentais aussi que c’était un saut assez naturel pour ma carrière car je pensais pouvoir capitaliser sur mes deux expériences précédentes (startup et consulting).

Tu dois te douter de la question suivante : pourquoi le secteur EdTech ?

Je suis tombé amoureux de deux facteurs qui m’ont fait prendre conscience d’une énorme opportunité :

  1. L’impact potentiel à avoir car le secteur de l’éducation manque cruellement d’innovation. L’éducation est un pilier sociétal et ce secteur n’a connu aucune évolution majeure depuis l’âge industriel (!). C’est difficile à croire.
  2. Un marché très jeune en Europe et sans fonds spécialisé [Brighteye opère depuis fin 2017, ndlr]. En 2017, quand j’ai rencontré Ben et Alex (Partners de Brighteye), le secteur EdTech Européen était en train de se former ce qui rendait le challenge encore plus passionnant car il y avait (et il y a toujours !) un vrai enjeu à soutenir cet écosystème au niveau Européen.

Zoom sur Brighteye Ventures et le venture capital

Aujourd’hui on investit depuis notre 2ème fonds (100 millions d’euros) et nous avons deux bureaux, un à Londres et un à Paris, ce qui nous permet d’être présents dans les deux marchés EdTech les plus actifs en Europe.

David Guérin, Principal chez Brighteye Ventures

En quelques mots, peux-tu nous dresser la ‘carte d’identité’ de Brighteye ? Quelle est votre thèse d’investissement ?

Brighteye est un fonds d’investissement européen, spécialisé dans l’investissement Seed et Séries A et le secteur EdTech. Notre thèse d’investissement est simple : “nous cherchons des startups Européennes qui permettent aux individus de mieux apprendre et qui ont un fort potentiel de croissance à l’international”.

Nous avons le privilège d’accompagner plus de quarante entreprises comme Ornikar, Epic!, YouSchool, ThePower Business School, Genially, Ironhack, Sdui, HackTheBox, etc.

Aujourd’hui on investit depuis notre 2ème fonds (100 millions d’euros) et nous avons deux bureaux, un à Londres et un à Paris, ce qui nous permet d’être présents dans les deux marchés EdTech les plus actifs en Europe.

Aujourd’hui à ton sens, quels sont les principaux enjeux auxquels fait face Brighteye Ventures ?

Notre enjeu est simple : on travaille sans relâche pour positionner Brighteye comme le fonds que les fondateurs Européens cherchant à lever des Seeds et Séries A veulent avoir sur leur captable [table de capitalisation, répartition du capital d’une société entre ses différents actionnaires, ndlr] pour les accompagner.

Pour cela, on a créé une équipe internationale (six nationalités dans une équipe de huit personnes !) avec une forte sensibilité et expérience opérationnelles, ainsi qu’une plateforme (‘recherche + communauté + design’) pour accompagner de manière pertinente nos fondateurs dans leurs challenges de tous les jours. Aujourd’hui, nous avons le privilège de voir passer environ 90% des deals early stage en Europe, ce qui est une première validation de notre mission.

Quelles sont les sources de ton deal flow [opportunités d’investissement, ndlr] : plutôt internes ou externes aujourd’hui ? Quels sont les canaux privilégiés ?

Depuis 2017, notre source principale de deal flow est le canal “inbound”. Au total, 75% de nos investissements proviennent soit d’entrepreneurs qui nous contactent directement ou de  recommandations d’autres fonds, soit de notre réseau d’une manière plus générale. On voit notre deal flow inbound comme une preuve de marque/notoriété, ce qui nous conforte dans nos efforts de positionnement.

On passe également du temps sur la partie “outbound”, où l’on contacte proactivement des fondateurs qui construisent des solutions qui nous intéressent particulièrement. Par exemple, en ce moment je passe pas mal de temps à creuser deux secteurs : ‘ClimateTech + Edtech’ et ‘AgeTech + EdTech’. J’ai développé des sous-thèses pour ces deux secteurs et je suis actuellement dans la phase de découverte et d’échange avec des entrepreneurs. On est même en train de clôturer un nouveau deal dans l’un de ces secteurs !

Dans le general framework Team Market Product Finance dont tu parlais dans le mini-cours VC que tu as réalisé récemment : pourquoi es-tu davantage Team/Market ?

J’aimerais donner un peu de contexte pour les lecteurs : on a récemment publié gratuitement un cours sur le capital-risque de cinq jours via email (MerciVC.com : n’hésitez pas à vous abonner, plus de 900 personnes nous ont rejoints !). Un des sujets abordés pendant le cours est le “general framework” (critères de sélection : équipe, marché, produit et finance, que les VCs utilisent pour sélectionner des startups).

Pour répondre à la question, je pense que c’est avant tout une question de style ! J’ai tendance à passer plus de temps sur les dimensions “team” et “market” car je pense que ce sont les deux dimensions majeures pour les startups en early stage (pré-Série B). J’ai besoin de créer une forte conviction sur l’équipe (capacité à exécuter, expertise, etc.) et le marché (market timing, compétition, etc.). Les deux autres dimensions – produit et financière – restent importantes car elles permettent aussi de comprendre le degré de “product market fit”. Cependant, il est souvent trop tôt (notamment en Seed) pour juger précisément ces deux dimensions vu que l’équipe est au début de son aventure et que tout reste à construire.

En parlant de critères, j’aimerais enchaîner sur une question qui devrait fortement intéresser les fondateurs de startups : comment un VC détecte en 15 minutes s’il investit ou non ? (“killing critères”)

En early stage (pré-Série B), il faut savoir que c’est plus un art qu’une science exacte. Il y a encore beaucoup de pièces du puzzle manquantes et donc plein d’hypothèses invalidées. Il faut bien souvent se servir de son instinct et pour moi il y a quatre principaux critères :

  1. Une équipe avec une connaissance profonde du marché et des parcours pertinents
  2. Une première traction (commerciale et/ou d’utilisation du produit/MVP) qui démontre un premier degré de “Product Market Fit
  3. Un produit “must-have
  4. Un marché assez grand (>1 milliard d’euros/an) qui n’est pas saturé et qui a vocation à continuer à grossir pour les cinq à dix prochaines années.

Si ces quatre éléments sont réunis et que je sens une connexion émotionnelle avec le fondateur et sa mission, c’est souvent très bon signe !

Des crises multiples et un marché potentiellement en ‘downturn‘ : quelles dynamiques pour l’avenir de l’écosystème ?

En 2021, on était dans un marché de “croissance à tout prix, quitte à brûler beaucoup d’argent”. Cette narrative a complètement changé aujourd’hui.

David Guérin, Principal chez Brighteye Ventures

Depuis début 2022 les valorisations Tech de manière générale semblent s’être effondrées, y compris dans l’écosystème EdTech. Selon toi, comment peut-on interpréter la situation ? Correction aux conséquences sur le long terme, ou période de calme conjoncturelle ?

C’est très difficile à interpréter et à estimer avec précision car il y a plein de facteurs à prendre en compte : inflation, taux d’intérêts, guerre en Ukraine, COVID-19, etc. De plus, il y a plusieurs théories qui courent avec des scénarii macros différents. Pour faire court, je préfère être conservateur en disant que c’est un ralentissement général de court/moyen terme.

J’estime que les prochains 18-24 mois (jusqu’au Q4 2023/Q1 2024) vont être calmes. Les financements de startups vont continuer mais cette fois avec des termes bien plus raisonnables au niveau des montants levés et des valorisations. Si c’est un sujet qui vous intéresse, on a récemment publié un guide sur une possible récession et comment s’y préparer.

Quelles sont les conséquences de la situation sur les opportunités d’exit ? Pour des startups qui affichaient encore il y a quelques mois des valorisations avec des multiples x20 ou x30 d’ARR [annual recurring revenue, ndlr]…

Avant même de parler d’exits, il faut savoir que c’est une douche froide pour beaucoup de fondateurs et de fonds. Je me réfère à l’écosystème en général et pas seulement au secteur de la EdTech. En quelques mois, des startups perdent jusqu’à 50% de leur valeur et se retrouvent avec l’énorme challenge de devoir faire grossir leur ARR deux fois plus pour justifier leur valorisation initiale. Prenons un exemple simple :

  • Une startup SaaS [au modèle software as a service, ndlr] qui faisait 25M€ d’ARR en 2021 a levé 100M€ à une valorisation de 500M€ (20x ARR) en fin d’année 2021
  • Aujourd’hui, cette startup qui continue à grossir et arrive à 35M€ d’ARR en juin 2022, vaut entre 280M€ et 350M€ (8x – 10x ARR)

On est loin des 500M€ de valorisation de 2021, il faut donc maintenant que cette startup arrive rapidement à 50M€ d’ARR pour justifier sa valorisation initiale de 2021 !

Ce qui est intéressant, c’est que les multiples de revenus et ARR reviennent aux mêmes niveaux que les multiples que l’on voyait en 2019 et début 2020 (8x – 10x ARR). Pour l’instant, la correction de marché ne peut pas être considérée comme “agressive”. À voir sur les prochains mois, si les multiples continuent à descendre (<8x) ou se stabilisent au niveau actuel 8x-10x.

Pour les exits de startups “early stage” pour des rachats stratégiques, je ne pense pas que l’incertitude dans le marché ait un réel impact. Les prix offerts pour un adossement seront peut-être un peu plus conservateurs mais je n’ai pas plus d’inquiétudes que ça. Par contre, pour les startups “late stage” et celles qui souhaitent préparer des introductions en Bourse, c’est une autre histoire. C’est d’ailleurs pour ça que les marchés Européens sont calmes en ce moment car le mot d’ordre pour les investisseurs peut se résumer à : “attendre d’avoir un peu plus de visibilité et de stabilité”.

En 2021, on était dans un marché de “croissance à tout prix, quitte à brûler beaucoup d’argent”. Cette narrative a complètement changé aujourd’hui. Les sociétés doivent démontrer une certaine résistance à une récession potentielle et le concept de “cash efficiency” est de retour dans la tête des investisseurs. La bonne nouvelle pour nous est que le secteur EdTech au niveau early stage est un peu moins exposé à cette tendance de marché car historiquement, cela reste un secteur moins compétitif.

Une dernière question pour finir : as-tu un message ou conseil à faire passer aux fondateurs de startups qui chercheraient à lever des fonds dans cette ‘fenêtre’ assez particulière ?

Au niveau global, il y a 478 milliards de dollars de ”dry powder” [réserves de cash des fonds vouées à être investies, ndlr] dont 159 milliards de dollars destinés à l’early stage. Si l’on se focalise sur l’Europe, il est estimé qu’il y a actuellement 55 milliards de dollars prêts à être déployés, ce qui représente 15 à 18 milliards de dollars pour l’early stage.

La conclusion est qu’il y a beaucoup d’argent dans le marché car beaucoup de fonds ont levé en 2021. Par contre, il est bien plus difficile de lever de l’argent car il faut considérer que le marché vient de vivre une remise à zéro. Ce “reset” signifie que seules les entreprises avec des fondations solides (ex : unit economics, burn raisonnable, etc.) et qui prouvent être des “must-have solutions” pourront accéder à cette poche de capital. Pour les autres startups (“nice-to-have”), il est temps de se serrer la ceinture pour les 18-24 mois qui arrivent et d’activer le mode survie afin d’étendre son runway, car malheureusement comme dirait la série : “winter is coming”.

Je vous invite à lire notre guide pour aller un peu plus en profondeur dans le sujet sur les implications potentielles de cette crise et comment s’y préparer.

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