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L’interview de Rémy Challe, CIO chez Skill and You

Rémy Challe Interview Skill and You

Nous vous l’annoncions dans notre précédente newsletter : de nouveaux formats débarquent sur EdTech Capital ! Et pour cause, nous avons le plaisir et l’honneur de donner la parole aujourd’hui à Rémy Challe, Chief Innovation Officer chez Skill and You (leader européen de la formation en ligne) dans cette première interview des grands acteurs de l’univers EdTech.

Précédemment Directeur de l’INSEEC, puis Directeur Général de l’association EdTech France, Rémy Challe est un amoureux de l’éducation, et a pu par son parcours en parcourir toutes les facettes.

Du côté de chez Skill and You…

“Ce qui m’a le plus épaté lorsque je suis arrivé chez Skill and You, ça a d’abord été de découvrir la richesse du catalogue de formation”


Rémy Challe, CIO chez Skill and You

Bonjour Rémy, peux-tu nous présenter ton parcours ? Quelle richesse cela t’a-t-il apporté d’avoir parcouru toutes les facettes de l’écosystème EdTech – Grande Ecole1 – éducation ?

Mon parcours s’est construit autour d’une passion : celle de l’éducation ! J’ai commencé par enseigner le droit à l’université, puis j’ai dirigé une grande école de commerce, avant de plonger dans l’écosystème EdTech et de rejoindre le groupe Skill and You, une « entreprise éducative » innovante qui forme à des métiers pourtant très éloignés de mes premières amours.

Mais dans chacune de ces expériences, il y a l’envie de transmettre, d’être utile, d’être au service des apprenants. J’ai gardé beaucoup de contacts avec mes anciens élèves, dont certains sont d’ailleurs devenu eux-mêmes enseignants ou entrepreneurs de l’éducation. J’ai la chance d’avoir exercé un peu tous les métiers de l’enseignement et d’avoir croisé des personnalités fantastiques, car l’éducation n’est pas un « produit » comme un autre. Nous avons une responsabilité forte envers nos élèves et nos étudiants, qui ont placé en nous beaucoup d’attentes et d’espoirs, et nous n’avons pas le droit de les décevoir !

Quelle est ta journée type chez Skill and You en tant que CIO ?

Le jour où j’aurai des journées types, il sera temps pour moi de faire autre chose ! Blague à part, mes missions sont par définition transverses, parce que le besoin d’innovation est présent partout dans l’entreprise : de la définition de l’offre de formation à la mise en place de nouvelles modalités pédagogiques, de la recherche de nouveaux partenaires à la construction d’un CFA 100% à distance…

J’apporte mon expertise pédagogique, ma connaissance des startups EdTechs, mon expérience de l’enseignement supérieur, ou encore mon réseau dans la formation professionnelle.

Quelles sont les grandes dynamiques de croissance de Skill and You ?

La crise sanitaire a bien été un accélérateur pour le groupe, et pour la formation à distance en général, et surtout un révélateur de l’intérêt du distanciel, et pas simplement sous contrainte ! Nous avons ainsi remporté plusieurs marchés publics, soit en 100% distanciel (comme le marché FOAD de Pôle Emploi), soit en proposant des dispositifs hybrides avec des organismes de formation en présentiel (comme le marché porté par la Grande Ecole du Numérique et Pôle Emploi).

A l’heure où beaucoup sont confrontés au défi de l’hybridation, nous sommes en mesure d’apporter notre expertise de la pédagogie en ligne, autant que notre savoir faire technologique. De la même manière, nous avons lancé un CFA 100% à distance qui prend son envol à cette rentrée ! Se former en ligne, à son rythme, et éprouver les compétences acquises sur le terrain avec son maître d’apprentissage, c’est une formule qui séduit les apprentis comme les entreprises. Nous continuons également de développer notre catalogue de formation, en allant vers les métiers qui recrutent et les secteurs en tension. Notre CAP Plomberie qui vient tout juste de sortir, et qui est à ce jour unique en France, fait un excellent démarrage !

Quelle est pour toi la plus grande force de Skill and You ? Le « Lab » qui permet une hybridation entre formation théorique à distance et pratique en présence ? Les diplômes d’Etat ? Le grand nombre d’alternatives au financement personnel ?

Ce qui m’a le plus épaté lorsque je suis arrivé chez Skill and You, ça a d’abord été de découvrir la richesse du catalogue de formation : plus de 200 formations qualifiantes, certifiantes ou diplômantes, entièrement à distance, et permettant de se former à des métiers inattendus avec le distanciel comme la coiffure, la mécanique ou encore la boulangerie… et ça marche !

Skill and You développe en effet une triple expertise : d’abord pédagogique, pour la création des parcours et des contenus, ensuite technologique, pour la mise à disposition des formations à tous les apprenants, et enfin humaine, car la clé de la réussite est le suivi réalisé par les tuteurs, les formateurs et les coachs. C’est assez unique, et cela permet de répondre à des besoins de formation croissants, et de manière massive. C’est parce que nous avons cette capacité à « absorber » et à suivre de très nombreux apprenants en même temps (environ 100.000 à l’instant t) que des acteurs institutionnels nous font confiance. Nous travaillons comme des artisans, mais à une échelle industrielle !

Il y a peu, Skill and You lançait un partenariat avec ISC Paris, une Grande Ecole de commerce française. D’où est venue cette idée et pourquoi avec cette école ? D’autres écoles ont-elles refusé le projet ? Semble-t-il selon toi possible de voir se développer d’autres modèles « hybrides » avec les Grandes Ecoles dans un avenir proche ?

J’avais eu cette idée (proposer à des élèves de master de suivre une formation en CAP) du temps où j’étais moi-même directeur d’école, mais je n’avais pas pu identifier le bon partenaire pour mener ce projet. Et puis à l’époque, je ne savais pas que les CAP pouvaient se préparer à distance ! C’est pourquoi quand je suis arrivé chez Skill and You, je me suis dit que c’était beaucoup plus simple, puisqu’il me « suffisait » de trouver le bon partenaire dans l’enseignement supérieur (et c’est un monde que je connais bien).

J’ai proposé le projet à l’ISC en premier lieu parce que Jean-Christophe Hauguel est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, que j’avais eu la chance de côtoyer au sein du SIGEM. On s’est appelé, je lui ai présenté l’idée et le lendemain la convention était rédigée ! Nous sommes allés vite, parce que c’est un projet auquel nous croyons tous les deux.

Les Grandes Ecoles françaises et les EdTechs : une histoire de désamour ?

“Les Business Schools sont davantage douées pour le marketing de l’innovation que pour l’innovation elle-même”


Rémy Challe, CIO chez Skill and You

De nombreuses écoles ont dévoilé leurs plans stratégiques à horizon 2025 ces derniers mois. Pour autant, les EdTechs y occupent une place marginale en moyenne. Peut-on expliquer cette réticence ? Où se situe le blocage ? Est-il psychologique ? Financier ? Culturel ?

Il faut se rappeler qu’il y a à peine trois ans, le terme “EdTech” était quasiment inconnu dans les Business Schools… Et si l’on parlait d’innovation à longueur de plaquettes, c’était rarement d’innovation pédagogique, et encore moins grâce au numérique.

De manière générale, les Business Schools sont davantage douées pour le marketing de l’innovation que pour l’innovation elle-même ; on est croyant mais pas tellement pratiquant, et je ne faisais pas exception à la règle lorsque j’étais moi-même directeur ! Il faut dire que les contraintes, notamment institutionnelles, sont légion, et qu’entre deux classements, une accréditation et le renouvellement du grade master, le temps de cerveau disponible pour envisager l’éducation du futur se réduit vite à la portion congrue…

Les Ecoles agissent malheureusement le plus souvent sous la contrainte et de ce point de vue-là, la crise sanitaire a été un modèle du genre ! D’un seul coup, on s’est rendu compte que rien n’était prévu pour enseigner à distance, ni les moyens techniques, ni l’ingénierie pédagogique, ni les moyens humains… Il y a alors eu une ruée vers des solutions technologiques, essentiellement des dispositifs de visio-conférence, et la pédagogie est restée au second plan. C’est dommage, car la vraie question est celle du modèle pédagogique que nous voulons mettre en œuvre pour la génération qui arrive.

Il existe des tas d’initiatives extraordinaires et de modèles d’écoles innovants qui se développement aujourd’hui, souvent sur le modèle des bootcamps. Ces nouvelles écoles ne délivrent pas de diplôme, elles ne promettent pas un réseau d’alumni puissant ni des professeurs titulaires d’un PhD… et pourtant elles attirent de plus en plus de jeunes, sur une promesse d’emploi, d’agilité, de pédagogie alternative ou même de modes de financement inédits. L’ironie du sort est que ces écoles sont souvent portées par d’anciens élèves des business schools !

Pour les Grandes Ecoles, quels seraient les principaux intérêts à construire des partenariats avec des EdTechs comme Skill&You, à la manière de l’ISC ?

Ces partenariats avec des entreprises EdTechs qui « forment » (Skill and You, mais aussi Le Wagon, Openclassrooms…) sont d’un genre nouveau : il ne s’agit pas simplement d’acheter une brique technologique, mais de construire ensemble un parcours de formation. On se rapproche du modèle « traditionnel » des doubles diplômes (avec des universités, des écoles d’ingénieurs, des écoles étrangères…) mais avec de nouveaux acteurs qui permettent aux écoles de proposer des parcours vraiment différenciants. Nous ne sommes absolument pas concurrents, en revanche nous pouvons être absolument complémentaires. C’est une façon pour les écoles d’aller capter l’innovation plutôt que de la subir.

Nos Grandes Ecoles ont-elles du retard sur le plan stratégique ? Quand l’ESSEC annonce par exemple en 2020 un plan stratégique centré sur le développement durable et le social… Quel danger pour une accumulation de retard relatif au digital ?

On ne peut ni ne doit regretter cet intérêt des écoles pour le développement durable, les enjeux climatiques, les transitions économiques, sociales, sociétales… Il s’agit d’enjeux majeurs dont les écoles devaient se saisir et c’est bien qu’elles le fassent, quelles qu’en soient les raisons.

Pour autant, il ne faut pas oublier que le numérique est aussi au cœur de toutes ces transitions. Il en est à la fois la cause, le symptôme, et parfois le remède. Le numérique doit être un sujet d’études, un objet d’études, un moyen d’études. C’est compliqué certes, mais il faut traiter de tous ces sujets à la fois, au risque de regarder passer les trains… pardon, les hyperloops !

Même si certaines écoles commencent à s’intéresser au digital, les intentions se concrétisent-elles en actes ? S’agit-il pour les écoles d’une « mode » dans lesquelles il convient pour elles de s’inscrire ? Perçoivent-elles réellement les mutations qui font aujourd’hui inéluctablement tendre l’éducation vers le digital ?

En actes d’achat ? pas tant que ça… En tout cas pas auprès des startups françaises. Ceux qui ont le plus profité de l’appétit nouveau des grandes écoles pour la pédagogie numérique sont d’abord et avant tout les Microsoft, Zoom et consorts. On va voir ce que l’on connaît le mieux, qui parfois donne l’illusion de la gratuité, et semble suffisamment robuste pour être mis en place rapidement et pour des cohortes entières d’élèves.

On reste trop frileux face à l’innovation et aux entreprises plus jeunes, fussent-elles françaises. Quelques-unes ont cependant su tirer leur épingle du jeu mais elles restent assez marginales. Encore une fois, beaucoup d’écoles savent parfaitement marketer l’innovation – qui a son campus virtuel, qui son application mobile, qui son business game – mais rares sont celles qui osent repenser leur modèle pédagogique (ou leur modèle tout court) avec le numérique. Il faut avoir une vision à long terme, savoir regarder au-delà des objectifs de la rentrée d’après.

Finalement, crois-tu réellement que les Grandes Ecoles pourront accompagner l’essor des EdTechs ?

En tant que clients, je ne le pense pas. En tant qu’investisseurs peut-être… mais pour l’instant les exemples sont rarissimes !

Une dernière question pour finir. Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui des structures comme Skill and You de construire leurs propres écoles ?

Mais nous avons déjà nos propres écoles ! Nous avons 100.000 élèves qui se forment sur les plateformes de nos 14 enseignes, nous préparons à des diplômes d’Etat et des titres professionnels, nous avons des formateurs, des ingénieurs pédagogiques, des tuteurs, des apprentis dans notre CFA… et nous sommes même reconnus centre d’examen par l’éducation nationale pour les diplômes du CAP ! Inutile donc de « construire » des murs pour avoir son école !

En revanche, nous n’irons pas sur le terrain (au sens propre comme au figuré) du présentiel. Ce n’est pas notre ADN, ce n’est pas notre modèle pédagogique ni notre business model.

1 : Le terme “Grande Ecole” fait référence tout au long de l’article aux Grandes Ecoles de commerce françaises uniquement

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