Depuis le départ de Bernard Belletante, directeur général de l’école jusqu’en 2019, emlyon connaît une période de grandes transformations. Le jeu de chaises musicales au sein de la direction a un temps créé une certaine incertitude autour de l’école, d’où la décision de la CEFDG de ne renouveler le grade de master de celle-ci que pour trois ans, contre cinq habituellement. Tandis que la concurrence avec l’EDHEC s’exacerbe et que l’établissement change de structure financière, les défis à relever sont donc nombreux pour l’établissement lyonnais.
À l’issue d’une année toute particulière, marquée par une pandémie mondiale qui aura mis à l’épreuve la stratégie pédagogique des Grandes Ecoles, quel bilan pour emlyon ? Dans le premier épisode de notre série d’analyses sur les comptes des grandes écoles françaises, zoom sur un exercice 2019-2020 surprenant qui aura vu le groupe Early Makers perdre plus de neuf millions d’euros.
Changement de statut, augmentation de capital : emlyon au défi d’une révolution financière
Pour l’EM, une nouvelle direction
En l’espace de quelques années, emlyon a connu une véritable révolution stratégique. En changeant de dirigeants, l’école a changé de direction. Mais l’instabilité qui règne à la tête de celle-ci depuis 2019 rend complexe l’affirmation d’un nouveau modèle pédagogique et financier cohérent. En à peine dix-huit mois, Tawid Chtioui, Tugrul Atamer et Isabelle Huault se sont ainsi succédés à la présidence du directoire.
Cette instabilité a été d’autant plus problématique qu’elle intervenait à un moment clé pour l’école. En 2019, l’ex-président de la CCI lyonnaise (Chambre de Commerce et d’iIndustrie) annonçait que l’école faisait le choix de troquer son statut associatif pour celui de Société Anonyme. L’EM devenait alors la première Très Grande Ecole française à ouvrir son capital à un fonds d’investissement.
Si une telle ouverture aux capitaux a certes l’avantage de faciliter les investissements, a fortiori au moment où l’EM construit un nouveau campus, elle n’est pas sans contrepartie. Avec ses nouveaux actionnaires, l’école s’est vue plus que jamais confrontée au défi de la rentabilité. Pour ce faire, la multiplication par presque deux du nombre d’élèves en à peine cinq ans a été un levier important. Mais à l’heure de dresser un premier bilan, force est de constater que le compte n’y est pas tout à fait.
Focus sur les nouveaux actionnaires de l’EM
Qualium, c’est le nom du nouvel investisseur majeur depuis la récente opération d’augmentation de capital. Fondée en 1998, cette société de gestion de portefeuilles a déjà investi plus de 1,6 milliards d’euros dans plus de 50 sociétés françaises. Le fonds est issu de la CDC Investissement. Il gère aujourd’hui des entreprises aux activités très diverses, comme la Foir’Fouille (équipement de maison), Invicta (spécialiste du chauffage au bois) ou encore Thom Europe, célèbre bijoutier.
Autrement dit, le fonds n’a pas été choisi pour son expertise dans le monde de l’éducation. Et ce à l’inverse d’autres acteurs financiers comme Naxicap ou Eurazeo, souvent présents dans les deals financiers des groupes d’éducation.
C’est cependant davantage le cas de la BPI France. Avec Qualium, la branche investissement de cet organisme public est également entrée au capital de l’école. Au carrefour entre public et privé, la BPI détient donc une certaine expertise pour concilier utilité publique et rentabilité, deux problématiques majeures pour l’école à l’heure de sa transformation financière.
L’augmentation de capital : une opération réussie ?
L’accord scellé entre Qualium, la BPI et l’école est évalué à plus de 40 millions d’euros. Bien que prometteur, le deal semble donc bien différent de celui annoncé dans les médias à l’été 2019.
À l’époque, les informations qui avaient filtré dans la presse annonçait un financement à hauteur de 100 millions d’euros, soit 40% du capital d’une école dont la valorisation aurait alors pu atteindre 240 millions d’euros. Les 60 millions d’euros qui restent n’ont pas disparu, mais ne seront débloqués qu’au fur et à mesure des besoins en investissement résultant du « Plan d’accélération » 2026 de l’école.
Or, en valorisant les 195 millions d’actions du groupe à hauteur de 0,7 euros, le prix auquel la société a pu racheter certaines de ses propres actions cette année, on obtient une valorisation de seulement 138 millions d’euros pour le groupe Early Makers. La réalité est donc bien loin des 240 millions d’euros de valorisation qui avaient été annoncés… À ce titre, l’accord final ne semble pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions initiales.
Un actionnariat bouleversé
L’ensemble de l’actionnariat de l’école a plus largement été bouleversé. Avec cette augmentation de capital, le poids de la CCI lyonnaise recule inévitablement. Mais ce recul profite également aux salariés de l’école qui ont souscrit à cette augmentation à hauteur de trois millions d’actions. C’est donc avec un nouvel équilibre financier que l’école aborde désormais de grands chantiers stratégiques.
Avec les investissements qui devraient se poursuivre, la structure de l’actionnariat de l’école pourrait, à l’horizon 2025, ressembler à celle décrite dans le graphique suivant.
Malgré les doutes légitimes que peut susciter cette augmentation de capital, celle-ci a, sur le plan comptable, d’indéniables effets positifs pour emlyon. En effet, l’endettement de l’école a reculé de plus de 5 millions tandis que les disponibilités ont crû de plus de 7 millions d’euros. Pour autant, elle a également généré des frais importants. L’opération, réalisée grâce à la banque d’affaires Natixis a également engendré plus de trois millions d’euros de charges exceptionnelles pour l’école.
Neuf millions de déficit : mais où va l’argent de l’EM ?
En raison de la récente opération de levée de fonds, un tiers du déficit de l’école provient donc de frais financiers qui n’auront pas vocation à se répéter. Mais cela n’explique pas encore où sont passés les six autres millions d’euros dont l’école manque pour que ses comptes soient à l’équilibre.
Un cruel effet ciseau
Malgré un chiffre d’affaires en croissance, l’école perd des sommes considérables. Le chiffre d’affaires est en croissance de 4,5%, principalement tiré par la hausse des frais de scolarité. Au total, les recettes des programmes Masters s’établissent à plus de 65 millions d’euros, soit plus de trois quarts du chiffre d’affaires total. Pour l’école, cela représente une progression de 3%. Le nombre d’étudiants sur ces programmes-là est en légère baisse (-1,4%), mais celle-ci est compensée par le développement de la gamme MSc. Le prix de vente moyen des programmes est en hausse de 4,9%.
Sur la gamme Bachelor, l’école connaît une forte hausse du nombre d’étudiants (29%), qui reste toutefois moins forte que dans d’autres écoles comme SKEMA ou NEOMA. Ce programme a rapporté plus de 13 millions d’euros à l’école l’année dernière.
Pour autant, la croissance des charges est presque deux fois plus rapide que celle du chiffre d’affaires. Sur l’exercice 2019-2020, les charges d’exploitation passaient ainsi de 86 à 95 millions, soit une hausse d’environ 10%.
L’école subit donc les conséquences d’un effet ciseau aux effets pernicieux. De manière diffuse, les coûts d’exploitation augmentent à tous les postes. C’est le cas au niveau des salaires (+ 7%), des charges sociales (+ 17%), des dotations aux amortissements (+35%)… On remarquera aussi l’augmentation rapide des provisions. Cette hausse permettra probablement d’anticiper les départs et éventuels licenciements dans la direction lyonnaise, voire dans l’ensemble des équipes de management d’après les annexes.
Les conséquences de la pandémie
Au-delà de ces difficultés structurelles, l’exercice 2019 – 2020 a aussi été fortement marqué par la pandémie mondiale de Covid-19. Le contexte peu porteur a évidemment des conséquences très conjoncturelles sur les résultats financiers de l’école. Si les confinements à répétition ont certes permis de limiter certains frais – en particulier certains coûts liés aux campus ainsi que certaines charges assumées par l’État dans le cadre de son plan de soutien – ils ont également généré des débours de trésorerie importants pour l’école. Cela est d’autant plus vrai que celle-ci affirme avoir eu recours de manière limitée à l’activité partielle. Par ailleurs l’école n’a pas bénéficié de report d’échéance fiscale.
Des investissements importants ont notamment été nécessaires pour assurer la transition vers l’enseignement digital. De même, la situation économique mondiale a nourri les réticences de nombreux élèves potentiels, en particulier en matière d’executive education. Le chiffre d’affaires de la filiale executive education est ainsi en légère baisse (de 22 à 19 millions d’euros). Ce résultat s’explique par la limitation par les entreprises de leurs coûts non-essentiels comme la formation. Toujours au niveau des recettes, l’école constate également une diminution de 300 000 euros liée à la non-réalisation d’un semestre en Chine.
Pour autant, la dégradation de la conjoncture économique ne suffit pas, loin de là, à expliquer les difficultés de l’école. La pandémie a en effet frappé tous les établissements concurrents du groupe Early Makers. Or ceux-ci obtiennent des résultats financiers bien plus convaincants. C’est notamment le cas de TBS qui réalisait un bénéfice net de trois millions d’euros sur le même exercice. Idem pour HEC Paris qui affichait sur la même période un résultat positif de plus de 600 000 euros. L’école a même crée son propre fonds d’investissement cette année.
En d’autres termes, les racines des difficultés lyonnaises sont donc bien plus profondes.
Un stratégie qui interroge
C’est en effet plus largement le positionnement stratégique de l’école qui est en cause. Au regard des investissements réalisés sur l’exercice, il est clair que la stratégie de l’école a peiné à s’adapter au contexte. Sur la période étudiée, les investissements s’élevaient ainsi à huit millions d’euros, contre plus de treize l’année précédente. Autrement dit, les dotations aux amortissements étaient cette année plus élevées que les dépenses d’investissement, signe d’une modernisation qui a ralenti l’an passé.
La gestion de la branche marocaine du groupe pose également de vraies difficultés. A ce titre, les 600 000 euros mis en provision spécifiquement pour le campus marocain témoignent d’une certaine incertitude sur la gestion de l’école dans cette partie du monde. Le plan d’affaires pour la branche marocaine prévoyait un bénéfice dès l’année 2017-2018. Or la société qui en gère le fonctionnement est encore déficitaire aujourd’hui.
Faut-il s’inquiéter pour emlyon ?
Les facteurs de doute se sont donc accumulés autour d’emlyon ces derniers mois. Pour autant, l’école dispose toujours d’atouts indéniables pour affronter cette période compliquée.
Des atouts encore solides
Tout d’abord, l’école dispose de vraies réserves de liquidité qui ont de quoi rassurer ses actionnaires. Avec plus de 23 millions d’euros en banque, emlyon compte deux fois plus de disponibilité que TBS (pour un chiffre d’affaires moins de deux fois supérieur) et deux fois moins que HEC (pour un chiffre d’affaires moins de deux fois inférieur). Malgré son fort endettement et sa perte nette, l’école ne semble donc pas menacée en termes de liquidités. À ce titre, la récente augmentation de capital a apporté des garanties supplémentaires.
La marque emlyon reste également très porteuse. Dans les comptes de l’école, elle est valorisée à hauteur de 60 millions d’euros. Si l’on peut se poser la question de l’objectivité d’un tel chiffre, il est également intéressant de le comparer à celui de certaines marques de référence. Pour comparaison, en 2021, la marque française la plus valorisée, Orange, se voyait estimée à plus de 16 milliards d’euros. Les autres écoles de management françaises ont elles fait le choix de ne pas valoriser leur marque. Reste que le nom de l’école conserve un poids indéniable, du moins en France.
Par ailleurs, le projet emlyon 2022 devrait aussi marquer une étape importante pour le devenir de l’établissement. En termes comptable, la filiale SCI emlyon 2022 n’est valorisée qu’à hauteur de 10 000 euros. C’est donc sûrement grâce au gonflement de cette valeur que Qualium pourra rentabiliser son investissement.
Enfin, le nouveau campus de l’école, qui verra le jour en 2023, a été financé uniquement par endettement. Ainsi, dans un horizon proche, l’EM pourra restituer à la CCI une partie de ses locaux d’Écully et bénéficier de son emplacement stratégique au cœur de la ville lyonnaise. Son endettement qui reste aujourd’hui à un niveau relativement élevé devrait rapidement décroître.
L’avenir proche d’emlyon : encore du déficit ?
Malgré les arguments que l’école peut faire valoir, les prévisions pour l’année prochaine annoncent un exercice mitigé. emlyon devrait continuer à perdre de l’argent malgré la hausse continue de son chiffre d’affaires. Les recettes devraient croître d’environ 12%, pour atteindre 99 millions d’euros. Elles seraient compensées par des charges d’une valeur de 102 millions d’euros. Les investissements, eux, continueraient de décroître pour tomber à un peu plus de sept millions d’euros.
Ces prévisions peuvent cependant sembler optimistes puisqu’elles verraient l’école diviser par plus de trois sa perte nette. À moyen terme cependant, la stabilisation de l’équipe dirigeante sous l’égide d’Isabelle Huault et la réalisation du nouveau plan stratégique Confluences 2025 peuvent laisser espérer un éventuel rebond. À ce titre, la baisse des élèves admis par voie universitaire devrait permettre de rassurer sur la valeur du diplôme… quitte à sacrifier des revenus à court terme.
Il faudra poser un regard attentif sur le prochain exercice financier de l’école. Celle-ci devra en effet démontrer sa capacité à traverser la mauvaise passe actuelle pour enfin retrouver un horizon lumineux.
D’ici là, ne manquez pas la suite de notre série d’analyses sur les comptes des grandes écoles. Notre prochain article concernera HEC Paris.