L’année 2021 laisse place à 2022. A l’heure où le monde s’intéresse de plus en plus – et ce depuis plusieurs années déjà – à cet univers mêlant éducation et technologie, où de nouvelles entreprises du secteur émergent par milliers tout autour du globe, le terme « EdTech » a de plus en plus la cote. En témoignent les 57,8 millions de résultats de recherche Google relatifs à ce terme obtenus en moins de 0,5 seconde à l’heure où est rédigé cet article.
Force est de constater que l’univers EdTech compte de plus en plus d’étoiles : on ne peut se réduire à le définir par les plateformes de cours en ligne, outils technologiques, applications ludiques permettant de s’initier à une discipline, ou antiques MOOCs.
Or, le terme est de plus en plus utilisé partout et par tous, et peut avoir tendance à se retrouver employé comme un générique souvent peu défini, ou bien défini de manière assez vague. Qu’est-ce que la (ou « l’ ») EdTech ? « Une contraction de educational technology, définissant tous les acteurs qui révolutionnent l’éducation via des processus technologiques »…
Nombreuses sont les définitions plus ou moins similaires accessibles sur Internet. Peut-on approfondir, préciser et encadrer davantage la définition de l’univers EdTech ? Quels concepts renferme ce terme, quelle typologie en dresser ?
Disclaimer : cet article constitue une proposition d’analyse et de définition personnelle. Il ne saurait remettre en cause ou critiquer des définitions alternatives. Toute remarque est la bienvenue !
Tour d’horizon d’un anglicisme
« Ed-Tech » provient de la contraction de Educational Technology, ce qui traduit de la langue commune correspond en français à « technologies de l’éducation et de la formation », d’après un article des Echos de 2019. Jusqu’ici, rien de nouveau.
Mais « LA EdTech » en soi… ne signifie pas grand-chose ! C’est d’ailleurs ce que nous faisait remarquer Anne-Charlotte Monneret, Déléguée Générale d’EdTech France lors de notre interview l’année dernière. L’univers EdTech est pluriel et hétérogène : il s’agit d’un ensemble ou écosystème d’acteurs (institutions publiques ou privées, acteurs financiers, entreprises, utilisateurs…) qui participent du développement et de l’intégration de composantes technologiques dans des processus d’éducation ou de formation, à différentes échelles et dans différents domaines.
On peut distinguer alors « une EdTech » (une entreprise, startup ou non, dont on peut dresser des typologies), d’un acteur EdTech (dont l’activité peut ne pas être dédiée à 100% au secteur : banque, fonds d’investissement, utilisateurs…).
Se pose dès lors la question des limites, d’un potentiel cadre à définir pour le secteur. Qu’est ce qui est EdTech, et qu’est ce qui ne l’est pas ? A priori, il est suffisant mais pas nécessaire d’être une entreprise mêlant des processus technologiques avec l’éducation ou la formation (du côté apprenant comme du côté passeur de savoir) pour se revendiquer du secteur.
Le mot « univers » est particulièrement bien adapté : les technologies évoluant de jour en jour, les frontières de l’univers EdTech sont chaque jour un peu plus repoussées. Difficile donc de faire rentrer tout un secteur dans une boîte hermétique. Explorons donc notre univers.
Définir l’univers EdTech suppose d’en extraire les concepts clés
En janvier 2020, un article du Café de la Bourse débutait par : « Sans vraie définition strico sensu, l’EdTech demeure tout de même un concept plus que simple ». Aujourd’hui pourtant, en analysant les concepts sous-jacents, il apparaît plus que complexe.
Peut-on parler de révolution ?
Le terme de révolution est bien souvent associé à celui d’ « EdTech » : dans les médias français comme internationaux, à la radio comme à la télévision. Pour autant, peut-on réellement parler de révolution en ce qui concerne l’univers EdTech ?
Ironiquement, remarquons que physiquement parlant une révolution est un mouvement ramenant périodiquement à un même point… Plus sérieusement, une révolution évoque la notion de changement brusque, dans une structure ou une organisation par exemple.
La crise du Covid-19, qui a agi comme catalyseur du développement international fulgurant des entreprises EdTechs, peut donner cette impression de bouleversement brutal du marché. Or, la rencontre entre technologie et éducation (au sens large) n’est pas nouvelle ! Bien que le développement et l’éclosion des entreprises EdTechs aient été catapultés par les conséquences directes ou indirectes de la crise sanitaire (du moins dans un premier temps), la EdTech n’est pas née avec le Covid, la digitalisation des établissements d’enseignement n’est pas née avec le Covid, les formations en lignes ne sont pas nées avec le Covid, etc.
Plus encore, le terme de révolution évoque implicitement la notion de remplacement. Cette notion est d’ailleurs parfois reprise à l’encontre des entreprises EdTechs qui chercheraient à « remplacer les modèles pédagogiques classiques et leurs acteurs », etc. Or, force est de constater que la grande majorité des EdTechs proposant des solutions de formation et/ou d’éducation n’a pas pour prétention ou vocation à remplacer les modèles pédagogiques classiques, mais davantage à les compléter.
Suite à ces différents constats, il semble pertinent d’employer le terme de recomposition (au sens géopolitique – géoéconomique du terme), plutôt que révolution. L’ENS Lyon définit la recomposition comme un réagencement dans la durée d’un espace (dans notre cas du secteur de l’éducation), sous l’effet de facteurs internes et/ou externes. Elle est le résultat de dynamiques dans lesquelles interviennent des jeux d’acteurs. La recomposition suppose un bouleversement des rapports de force et du concept de puissance, appliqué à l’éducation.
Le concept de puissance appliqué au secteur
Que vient faire la puissance dans la définition de l’univers EdTech ? Lorsque l’on se penche en détail sur la définition du concept géopolitique de puissance, il apparaît (étrangement) assez bien pouvoir s’appliquer à notre secteur. L’intérêt réside dans le fait de pouvoir dégager différentes facettes de notre univers. Explications.
En géopolitique, le concept de puissance et la mesure de la puissance (qui est par définition relative) s’appuient sur des critères. Ces critères (définis par exemple par H. Morgenthau, et P. Buhler) ont évolué au fil du temps, des différentes Révolutions industrielles et crises mondiales (puissance économique, géographique, militaire… puis technologique, food power, etc.). La puissance, c’est aussi pour J. Nye une question de hard power (puissance dure) et de soft power (puissance douce), auxquels se greffe le smart power (forme de combinaison intelligente entre hard et soft power) de Suzanne Nossel. Jusqu’ici, aucun lien avec l’éducation !
Or ces critères et concepts (hard power, soft power, smart power) sont assez bien transposables dans l’univers EdTech : peut-on dresser le tableau de la « puissance du secteur » ?
- Puissance géographique : l’un des critères les plus évidents. La EdTech par son essence même transcende (ou permet/aide de/à transcender) les frontières géographiques, et dépasse les barrières auxquelles font face les modèles d’éducation et de formation classiques. La crise sanitaire mondiale actuelle en est l’exemple le plus flagrant.
- Puissance économique : les chiffres de l’année 2021 sont éloquents, en qui concerne la capacité du secteur à générer de l’investissement (en France comme à l’international).
- Hard power : l’univers EdTech et son développement reposent sur une importante innovation (« introduction sur le marché d’un produit ou d’un procédé nouveau ou significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés », extrait de la définition de l’INSEE).
- Soft power : plus subtil, le soft power pose la question de l’influence des EdTechs sur la société. Il peut s’agir d’influence sociale, que l’on retrouve par exemple via le développement des EdTechs dites « à impact [social] » (Mobidys, Pronote, MyFuture, pour n’en citer que trois en France), ou l’importance du développement des EdTechs dans certaines régions du monde pour l’accès à l’éducation (en Asie par exemple).
- Smart power : ici, on identifie assez bien les notions de complémentarité et d’hybridation, pour des EdTechs qui en grande majorité entendent se greffer à des modèles pédagogiques ou des processus existants dans une logique d’optimisation, d’amélioration des expériences d’apprentissage. Exemples : une école qui utilise un LMS pour faciliter ses interactions avec ses étudiants, un adulte actif qui utilise une plateforme de cours en ligne dans une logique de formation continue…
Cette approche permet entre autres de mettre en exergue deux éléments essentiels dans la définition de l’univers EdTech : l’innovation, et le social.
Nous avons déjà abordé l’importance de l’innovation pour le secteur. L’éducation se situe à un véritable carrefour de l’innovation, et concentre des enjeux de thèmes d’actualité : entre Big Data et traitement des données des utilisateurs, machine learning, etc.
Par ailleurs, l’univers EdTech et ses entreprises intègrent dans leur ensemble une importante dimension sociale (lien social en particulier), de manière directe ou indirecte : un LMS qui permet d’améliorer l’interactivité entre un établissement d’enseignement et ses étudiants, une plateforme de cours en ligne qui permet d’accéder à des formations en gommant la contrainte géographique, une application octroyant un important gain de temps aux passeurs de savoir…
De l’autre côté du miroir, il apparaît nécessaire de maîtriser les possibles phénomènes d’exclusion émanant des technologies de l’éducation. Le secteur doit donc jongler entre intégration et risques d’exclusion.